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Requins à La Réunion

-une tragédie moderne-

Programme CHARC : fiasco d'une expérimentation sur cobayes humains

Extrait de la page 205 à 216 du livre "Requins à la Réunion une tragédie moderne". ce passage traite du documentaire star de la crise qui se présentait comme une enquête neutre et qui au final ne constituait qu'un instrument de propagande de l'idéologie scientifique. le programme scientifique aurait été un fiasco absolu en terme de gestion du risque et n'aura apporté aucune conclusion utile dans le cadre de la gouvernance vis-à-vis du risque requin. À ce titre, comme le préconisait l'évaluation initiale (quid de l'évacuation finale ?), il faut désormais "abandonner définitivement toute idée de gestion du risque par la science". Voir ici L'échec de la "science des requins"

 Le 29 juin 2017, Antonin Blaison présente une thèse complètement infondée, puisque justement basée sur les apports du programme scientifique CHARC à l'université de l'île la Réunion. Un exercice pathétique et humiliant qui enfonce définitivement la fin de toute crédibilité scientifique dans le cadre du risque requin l'île de la Réunion)

 Il y a six ans, voilà comment s'afficher les scientifiques locaux dans les médias ! le résultat de leur volonté d'adaptation aux squales prend la forme de 7 morts et 4 mutilés supplémentaires depuis cet article du 19 octobre 2011. l'adaptation est totalement impossible comme le prouve l'arrêté d'interdiction prononcée par l'État depuis le 26 juillet 2013 qui interdit toutes les activités nautiques et la baignade dans l'océan à l'île de la Réunion.

 

(extrait page 205)

(...) Depuis septembre 2011, un plongeur et réalisateur basé à la Réunion, Rémy Tézier, avait entamé le tournage d’un important documentaire au sujet de la crise requin pour la chaîne Arte. Début juin 2014, ce documentaire présenté en tant qu’investigation fouillée, « Attaque de requins à la Réunion, l’enquête », fut diffusé. Le visionnage en avant-première sur un grand écran de ce film, qui était également celui de notre histoire, de notre vie, m’a bouleversé. Une fois l’émotion passée, je pris de plus en plus de recul tout en constatant la satisfaction unanime du grand public envers la philosophie de ce reportage.

Pourtant, excepté le témoignage très émouvant de Fabien, le reste des attaques était traité avec une froideur implacable[1].  Chaque accident filmé ou relaté devenait un prétexte pour nous renvoyer immédiatement aux scientifiques et à leurs recherches.  Celles-ci ne semblaient d’ailleurs ne pouvoir évoluer qu’au fur et à mesure de ces drames dont la survenance apparaissait comme indispensable, puisqu’il s’agissait justement de tenter de les expliquer. Après une très courte angoisse, les chercheurs apparaissaient après chaque attaque comme soulagés en présentant les données relatives aux deux stars du film : les femelles bouledogues Estelle et Fanny. Forcement, ces informations permettaient de dédouaner d’une part ces deux requins repérés par les balises à une bonne distance du lieu du crime, et d’autre part les scientifiques eux-mêmes, responsables de ce programme ayant conduit à relâcher ces mêmes prédateurs devant les plages.

Pour compléter ce tableau, les images de synthèse montraient le cheminement de ces deux squales autour de l’île. Le spectateur haletant, subjugué par un tel suspense, développait un sentiment de contrôle inédit : nos requins présentés jusqu’alors comme mystérieux semblaient enfin livrer une bonne partie de leurs secrets. Tout le monde pouvait accéder aux données jalousement gardées jusqu’alors, et présentées comme « implacables ». Cela conduisait à légitimer définitivement non seulement cette recherche scientifique, mais aussi toutes celles ultérieures.

Pourtant nous étions face à une véritable question éthique : ce film n’était-il pas en train de faire l’apologie d’une expérimentation grandeur nature avec des cobayes humains ? Où était le respect des vies humaines là-dedans ? N’y avait-il donc pas la moindre once de responsabilité avec ces 80 requins marqués et relâchés devant les plages pour les besoins de la science ?

Strictement personne ne releva ces éléments, probablement du fait d’une opinion largement conquise à l’impérialisme scientifique, surtout passant par un si « modeste » sacrifice. L'attaque de requin tel que présentée dans ce film, ne permettait-elle pas de revivre en quelque sorte une version moderne des « jeux du cirque » ?

Tels les premiers martyrs jetés dans l’arène pour affronter à mains nues les fauves, les victimes se succédaient au fur et à mesure du film dans une lutte résolument inégale. Le spectateur confortablement installé sans risque dans son canapé, pouvait lui se divertir, tel jadis, d'un spectacle aussi abominable, avec du vrai sang humain.

Devant cette forme de mépris pour les victimes, et cette dévotion au travail des chercheurs, ne s’agissait-il pas là d’un des plus puissants instruments de propagande de l’idéologie scientifique ?J’ai tout de suite fait le rapprochement avec un documentaire au scénario similaire sur la région de Recife au Brésil produit il y a quelques années et réalisé par une grande chaîne documentaire américaine[2].

Je me suis souvenu alors que plusieurs équipes de tournage qui s’étaient rendues sur notre île m’avaient fait part de leur grande frustration de ne pouvoir ni monter sur le bateau des chercheurs, ni filmer les captures et les marquages (et encore moins accéder aux données recueillies). Nous avions eu vent de l’existence d’un contrat d’exclusivité qui liait étroitement ce réalisateur à l’institut scientifique, l’IRD. Ce qu’avait d’ailleurs dénoncé la chaîne Animaux, dans un reportage tourné en novembre 2012[3]. On voyait un des responsables du programme scientifique refusant avec embarras d’embarquer cette équipe sur les bateaux de marquage. Le journaliste indiquait alors en conclusion de cette séquence : « Le terme de l’accord : l’IRD accorde l’exclusivité au producteur, en contrepartie il récupère les images tournées. Ce contrat nous empêche de faire notre travail, mais contrairement à l’effet escompté, il ne fait qu’alimenter nos interrogations. Que cache ce refus ? Que se passe-t-il en mer ? Que racontera ce film assorti de cet accord ? » Ces questions, partagées par tous les journalistes ayant voulu obtenir des informations sur le programme scientifique, jetaient le doute sur l’objectivité du documentaire Attaque de requins à la Réunion, l’enquête.

La sortie de ce film en aout 2014 au plan national avait bien été préparée par la chaîne culturelle Arte et ne nous était, sans surprise, vraiment pas favorable[4]. La présentation de ce document était accompagnée d’un sempiternel graphe comparatif, dans la lignée de la manipulation habituelle visant à rendre anecdotique les attaques de requins, sans aucune mise en perspective sur la réalité du danger ici. Une présentation classique du requin exterminé par les humains (sans aucune relation avec le sujet des attaques à la Réunion) complétait le panorama, avec en prime des liens vers les O.N.G.E. de protection des squales, les mêmes qui nous attaquaient sans relâche depuis trois ans[5].

Les « causes » des attaques demeuraient au cœur de tous les enjeux car elles déterminaient les solutions à mettre en œuvre. Il apparaît opportun de s’attarder sur les principales hypothèses explicatives[6] promues par ce reportage, puisqu’elles correspondaient à celles défendues par les scientifiques, à savoir la saisonnalité de la présence des requins (en lien avec leurs mœurs), l’augmentation du nombre de pratiquants nautiques, et une urbanisation-pollution irraisonnée conduisant à un déséquilibre environnemental.

La conclusion principale de ce film indiquait ainsi : « Cette fois, les données sont implacables, à la Réunion, une partie des requins bouledogues sont saisonniers, ils disparaissent en été et reviennent en hiver ». Et cette saisonnalité s’expliquerait par un comportement lié à la reproduction selon les thèses préétablies du programme CHARC[7] et selon ce même documentaire qui présentait en conclusion des images de gonades mâles turgescentes :  « Cette vidéo m’apporte la preuve que les requins bouledogues s’accouplent en hiver à l’île de la Réunion. Et au vu de l’état de ce mâle, on comprend qu’en période de reproduction ces requins peuvent être agressifs. Je pense avoir résolu mon enquête, je retourne voir une dernière fois le patron de CHARC […] On a à certaines périodes de l’année la présence de femelles ici […] qui correspond à une période de reproduction où traditionnellement on a une compétition des mâles pour la reproduction des femelles, on est d’accord (oui) donc on a un comportement agressif forcément dans ces périodes-là, plus agressif que d’habitude (oui) dans un milieu fortement dégradé (oui) ce qui inclut une compétition pour manger et puis des requins qui se rapprochent de la côte. »

Enfin le narrateur synthétisera sa réflexion qui avait obtenu l’acquiescement systématique du responsable de ce programme:  « des requins bouledogues saisonniers qui viennent se reproduire en hiver à la Réunion, qui se retrouvent alors dans une quête alimentaire et une agressivité plus importante, voilà ce qui explique pourquoi la majorité des attaques ont lieu pendant le période d’hiver, entre mai et octobre. » Mais tous ces éléments aussi séduisants soient-ils ne résistaient pas longtemps à l’analyse : il était d’ailleurs effarant de constater que les hypothèses retenues allaient totalement à l’encontre des données disponibles.

Tout d’abord, rappelons que la simple analyse des dates de captures suffisait à discréditer de façon incontestable la thèse de la « saisonnalité » puisque 81,6% des bouledogues marqués l’avaient été au cours de la saison d’été austral[8]. Mais allons jusqu’au bout de ce raisonnement scientifique qui souhaitait à tout prix lier concentration des attaques en hiver et comportement des squales.

S’agissant de la plus grande agressivité hivernale associée aux mœurs, cette hypothèse était étayée par Fanny et Estelle dans le film. Les données présentées montraient que ces deux femelles bouledogues détectées en août 2012, étaient revenues dans l'île en avril 2013.

Il s’agissait selon les scientifiques d’un comportement lié à une phase de reproduction qui se déroulerait sur nos côtes chaque année au cours de hiver austral. Or il est communément établi chez les bouledogues une période de 12 mois de gestation, avec deux voire trois ans entre chaque portée. Cela voudrait dire que ces deux femelles présentes à La Réunion pour s'accoupler jusqu’en septembre 2012 soit à la fin de l’hiver austral, reviendraient à nouveau au début de l’hiver suivant, fin avril 2013 pour se reproduire à nouveau ?

Cela représentait une période de huit mois entre les deux périodes de présence à la côte identifiées, ce qui voudrait dire qu’elles auraient été encore pleines à leur retour d’avril 2013, mais, comme cela est le cas dans le règne animal, les mâles ne s’intéressent pas aux femelles en gestation. Pourtant, cela n’empêcha pas ce film d’associer directement la présence de ces deux femelles à une « compétition des mâles » du secteur, finissant par occasionner une attaque.

De même, à l’opposé de ces postulats scientifiques, il est reconnu historiquement que les naissances ainsi que « Les accouplements vont de la fin du printemps à l’été avec une possibilité d’extension à l’année entière[9]. » Il est connu de tous que les captures des juvéniles à la côte par les pêcheurs sont concentrées entre décembre et mars à l’île de la Réunion, soit au cœur de l’été austral.  Il en va de même pour les autres régions de répartition du bouledogue de latitude similaire. Les périodes de naissance et de reproduction y avaient été établies en plein été[10]. 

De même, s’agissant de la période des attaques, l’analyse comparative avec les autres pays de l’hémisphère sud concernés par ce même type de requins[11] montrait une répartition plus large sur l’ensemble de l’année voire même à l’opposé concentré en été austral, période de vacances qui correspondait à celle d’une plus grande fréquentation côtière, et donc d’une plus grande probabilité d’accident.

Enfin, l’argument de requins qui se rapprocheraient des côtes du fait de la raréfaction des proies (en lien avec la surpêche) n’est pas une hypothèse crédible s’agissant dans notre cas de requins côtiers[12] !

Mais qu’est-ce-qui pouvait expliquer alors la recrudescence d’attaques en hiver ici ?

Dès les premiers décès à la fin des années 1980, nous avions établi des hypothèses pour expliquer la plus grande fréquence des accidents. La principale raison communément admise expliquait les attaques par un phénomène de raréfaction des poissons durant la saison froide, poussant les requins en quête de nourriture à plus se rapprocher du rivage.

Mais j’avais songé à d’autres paramètres permettant d’affiner l’explication de ce phénomène. L’hiver à la Réunion les jours sont plus courts, le soleil moins haut, avec souvent des nuages qui accompagnent les flux d’alizés, et donc une moins grande luminosité. Ces conditions pourraient être favorables au maraudage diurne des bouledogues à la côte, rarement observés lors de fort ensoleillement[13]. De plus, l’été austral se caractérise soit par des houles petites et rares pendant lesquelles les pratiquants se cantonnent plus près du rivage, soit par des périodes cycloniques avec de fortes pluies occasionnant une eau boueuse, où la prudence renforcée voire « l’abstinence » d'activités nautiques sont de mise. A l’inverse en hiver, les trains de houles australes contraignent les pratiquants à de longues périodes de lutte contre le courant au large, les exposant bien plus au risque, de surcroît dans une eau rendue turbide par les sédiments brassés par les vagues.

Ainsi, conformément à notre propre analyse, les attaques pouvaient s’expliquer d'avantage par le bon sens ainsi que par la nature même des activités pratiquées plutôt que par un « comportement agressif lié à la reproduction ».

Au début des années 2000, le lien entre attaques et mœurs avait d’ailleurs été formellement réfuté dans le cadre d’une analyse[14], portant sur 20 années d’accidents, produite par le spécialiste local des requins. Ses conclusions de l’époque étaient sans appel : « les accidents survenus à l’île de la Réunion sont répartis équitablement tout au long de l’année […] toutes les attaques de pêcheurs sous-marins sont survenues durant les mois d’été austral (de novembre à janvier), période durant laquelle cette activité est très pratiquée du fait de bonnes conditions météorologiques et de l’abondance de poissons. Les attaques de surfeurs et véliplanchistes semblent survenir plus fréquemment durant les mois de mars et juillet, période de l’année où sont réunies les meilleures conditions météorologiques (en termes de vague et de vents) pour la pratique de ces activités. Les attaques de baigneurs semblent survenir indifféremment selon la période de l’année.  Si une saisonnalité devait être évoquée, elle serait liée aux fluctuations du nombre de sujets exposés au risque (variant selon leur activité) mais non aux mœurs des requins présents. »

C’était incroyable de lire de telles conclusions, qui allaient totalement à l’inverse de celle du programme scientifique CHARC. Et ni l’auteur ni personne d’autre d’ailleurs n’aura à aucun moment évoqué cette analyse qui aurait permis une approche critique indispensable des postulats retenus.

Enfin, nous avons déjà montré que l’argument largement répandu et admis[15] d’une « forte dégradation environnementale », qui attirerait les squales sur nos rivages, ne pouvait raisonnablement tenir la route. Un document récent attestait même que notre île est la région la moins polluée de France et d’Outre-mer [16] ! Il n’y a aucune activité industrielle de grande ampleur à l’île de la Réunion, isolée en plein Océan Indien, dans une zone parmi les moins polluées de la planète[17]. Les normes sanitaires en vigueur chez nous sont des normes strictes, européennes, contrairement à la moitié des côtes de la planète concernées par la présence des requins bouledogues. Une bonne partie de ces mêmes pays, en voie de développement, se distinguent par une quasi absence de traitement des eaux usées, avec une pollution directe des océans par des rejets multiples[18]. Comment dans ces conditions croire raisonnablement que 20 % des attaques mortelles de la planète entre 2011 à 2015 s’étaient concentrées sur notre caillou minuscule simplement à cause d’une dégradation environnementale ? Et alors même que plus d’une centaine de millions d’euros venaient d’être investis depuis 2009 dans la construction d’installations de traitement des eaux « dernier cri » (les effluents sont décantés sous des serres en verre), ainsi que dans la mise aux normes de la quasi-totalité des stations d’épuration existantes ? Et alors même que les rejets des stations proches des zones coralliennes de l’ouest, classées « espaces sensibles », subissaient un traitement poussé supplémentaire pour les deux polluants principaux des récifs que sont l’azote et le phosphore ?

Si la pollution était un facteur déterminant dans les attaques, alors on ne compterait plus les pays et les régions dévastées par ce fléau et les morts se chiffreraient en milliers. Pourtant ce n’était pas le cas, mais cela n’empêchait pas cet argument insultant pour notre île et ses habitants d’être admis par beaucoup en tant que vérité incontestable, car elle coïncidait parfaitement avec l’idéologie « politiquement correcte » visant coûte que coûte à charger la responsabilité humaine dans le but d’innocenter le prédateur.

Les écologistes locaux s’embourbaient dans des contradictions flagrantes : l’alarmisme autour d’une forte dégradation environnementale était brandi sans relâche depuis le début des années 1980. C’est à partir de cet argument qu’ils ont réussi à convaincre de la nécessité de l’implantation de la Réserve Marine en 2007, en tant que réponse pour justement tenter de régénérer le milieu. Comment pouvaient-ils dans ce cas arguer dès 2012 qu’une soudaine « dégradation environnementale » serait responsable des attaques, alors que cette dégradation avait déjà été établie depuis plusieurs décennies pour l’ouest de l’île[19] ?

Dans un autre registre, ce film sous-entendait également que l’augmentation de la population côtière avait conduit à une augmentation du nombre de pratiquants permettant d’expliquer l’augmentation du nombre d’attaques. Or, cette théorie vérifiable au plan mondial et développée par le grand spécialiste floridien George Burgess ne pouvait s’appliquer à notre île. En effet, dès 2011, la localisation inédite des attaques au cœur de la zone balnéaire, avait entraîné en toute logique une forte chute du nombre d'usagers. Celui-ci passa rapidement de plusieurs milliers[20] à quelques centaines, comme le prouvaient les observations du terrain, et même une étude scientifique à propos de la fréquentation littorale[21].

Or en 2011 alors que les effectifs dans l’eau étaient encore élevés, il y eut deux attaques mortelles en l’espace de trois mois le 15 juin et le 19 septembre 2011. En 2013, alors que la majorité des pratiquants avait abandonné l’océan, il y eu deux morts en l’espace de deux mois : le 9 mai et le 15 juillet 2013. Enfin en 2015, après 2 ans d’interdiction, et alors qu’il ne restait plus qu’une poignée de résistants encore prêts à braver le risque et les forces de l’ordre, il y eut deux morts en moins de deux mois, le 14 février et le 12 avril 2015 !

Les faits montraient de toute évidence que l’argument phare d’une corrélation entre augmentation du nombre d’attaques et augmentation du nombre d’usagers ne pouvait pas être décemment invoqué[22].

Ainsi, nos analyses comparatives débouchent sur une alternance de données contradictoires allant dans le sens d’une grande spécificité locale, et de l’impossibilité d’établir des patterns fiables ici pour ces espèces de requins côtiers. Elles confortent le bon sens du terrain selon lequel les trois uniques postulats retenus par les scientifiques n'étaient pas suffisamment pertinents. Cela posait une fois encore une question de responsabilité, puisque l’État avait dès le début assujetti la politique de réduction du risque aux conclusions de ceux-ci.

Pour compléter le bouquet, je découvris que ce documentaire avait bénéficié d’une subvention de 50 000 € par la région Réunion, et avait bénéficié également du soutien financier du ministère de l’Outre-Mer… et donc de l’État. Cela faisait quand même beaucoup pour prétendre à une quelconque « neutralité »[23].

Le mal était fait, bien fait, et pour longtemps avec ce reportage. Nombreux étaient ceux qui se réjouissaient d’avoir obtenu une version aussi « séduisante et romantique » de notre crise.

Les surfeurs y apparaissaient fidèles aux clichés, en tribu bruyante de consommateurs de la mer, prêts à s’exprimer avec violence pour tenter de préserver leur petit loisir égoïste. A aucun moment d’ailleurs, il ne donnera la parole à des représentants de la communauté nautique, confortant l’idée selon laquelle nous serions dans l’hystérie, réclamant un risque zéro et « l’extermination » des requins. À nouveau, les forums connurent un déferlement de haine envers notre communauté, redevenue plus que jamais ennemie de la nature et symbole des excès de l’humanité. Ce film reçut d’ailleurs un accueil exceptionnel tant du public[24] que des médias, et fut récompensé par plusieurs prix.

Quelques jours plus tard, je fus invité à participer à un grand débat en direct, proposé à la suite de la première diffusion de ce reportage sur la chaîne publique locale. Sur le plateau étaient invités : le père d’une victime, un élu municipal à Saint Paul, un des scientifiques héros du film, le directeur du CROSS, et enfin un opposant de la 1ère heure : le fondateur de l’association locale de protections des requins Squal’idées. Apprenant sa présence face à moi pour la première fois et en direct, je n’eus alors qu’une seule ambition : lui faire reconnaître ses erreurs de jugement initial sur notre pêche aux requins du 19 février 2011, et la légitimité du programme de réduction du risque Caprequins[25].

Pour moi l’enjeu se situait au niveau de l’opinion, alimentée à l’époque par ce spécialiste, et qui avait été persuadée que la capture d’un requin dangereux était un crime condamnable. Malgré une évolution à ce niveau, cette représentation sociale persistait, et continuait à freiner l’engagement institutionnel et politique très sensible aux considérations de l’électorat. Je n’ai pas eu l’opportunité dans le cadre de ce long débat de lui faire admettre ses erreurs dans le cadre de son positionnement initial, mais j’ai cependant réussi à mettre ces experts devant leurs propres contradictions, et à faire reconnaître le danger exceptionnel, incomparable aux autres régions du monde. Seul bémol, la journaliste donnera à ce spécialiste le privilège de conclure le débat, et il entamera alors une tirade en faveur de l’assujettissement de toute décision de prévention aux conclusions d’expérimentations scientifiques alambiquées.

Ce n’était pas acceptable d’entendre cela, car nous étions justement à l’heure du bilan de trois années de recherche, et ce spécialiste continuait de prôner « malgré tout le temps de la réflexion[26] ? » Après trois années d’attente dévastatrice, et indépendamment des enjeux cruciaux, fallait-il accepter sans sourciller trois ou trente années d’études supplémentaires avant de décider ?La fin du débat fut plutôt houleuse, mais je ne regrettais rien : il était fondamental de lutter contre le dogme d’une « résolution scientifique » d’une telle crise.

Cet incident me poussa à me plonger à nouveau dans les documents disponibles, et je découvris un nouvel élément. L’étude sociologique de référence avait dès 2011 parfaitement identifié le rôle central de l’association fondée par ce médecin au point d’y consacrer un paragraphe : « Après chaque accident, les médias relayaient habituellement la voix des « experts » : deux associatifs (Association Squal’idées) étaient ainsi régulièrement mis à contribution pour tenter d’expliquer les circonstances du drame. Invariablement, ils rappelaient les facteurs de risque et contribuaient à faire perdurer ce consensus sur la prise de risque excessive[27] […] Cette attribution causale a un double intérêt : d’abord, elle permet d’éviter « une psychose requin[28] », ensuite, tant que la sécurité du pratiquant semble relever exclusivement de son initiative personnelle, il n’y a aucune raison de mener une politique publique de prévention du risque. »

Cette étude du rôle initial de chacun des acteurs venait confirmer mon sentiment : tant que survivrait l’idée d’une « prise de risque excessive » associée à un « déni du risque réel », la crise resterait réduite à une simple « psychose ». Comment faire accepter que 10 à 20 millions d’euros soient dépensés pour sécuriser les plages au profit de quelques centaines de blondinets irresponsables ? Il devint urgent de faire reconnaître à l’État publiquement que nous étions face à des prédateurs dangereux avec des consé-quences sociales, économiques et humaines majeures, et non plus face à de simples « imprudences » aux conséquences limitées. J’ai alors tenté d’inciter les autorités locales à faire des déclarations allant enfin dans le sens d’une reconnaissance réelle du danger, permettant de légitimer la politique publique engagée, seule issue pour avoir une chance de la pérenniser.

Mais je me rendis compte qu’il s’agissait d’une démarche utopique. Jamais l’État ne reconnaîtrait franchement le risque réel et démesuré dans les médias, car cela aurait voulu dire qu’il assumait également la gestion calamiteuse des trois années écoulées. L’État n’aura eu qu’une seule logique : tout faire pour préserver l’irréprochabilité de ses actions garantes de son image… et donc de son autorité. Depuis le début, c’était au contraire comme si chaque ministère avait fait preuve d’un engagement méticuleux à tous les niveaux pour éviter d’aborder voire gommer toute référence à ses manquements ou incohérences[29].

Ainsi la reconnaissance d’un danger extrême demeurait « interne ». Pour le grand public, entre le discours officiel, la construction systématique d’une responsabilité humaine à chaque attaque et le « succès » affiché du programme scientifique, l’autorité apparaissait comme digne de son statut, voir même « victime de l’oppression des méchants usagers », éternels insatisfaits[30] (...)

 Le film de propagande scientifique présentée et perçue comme une "enquête neutre" et donc aucune des hypothèses n'aura pu être validée, et qui continue de désinformer en masse encore en 2017


[1]) Ce film présentera des images du moment de l’attaque Stéphane Berhamel survenue juste à côté du port, prises par le réalisateur, caméra sur l’épaule, qui revenait juste d’un tournage en mer. On verra nettement une grosse bulle de sang, entourant sa planche flottant en surface. L’attaque sur Sarah sera balayée d’un revers de main par le scénario puisque cette plage y est présentée comme « extrêmement » dangereuse : «  Malgré, les appels à la prudence, là même où les pêcheurs me disaient qu’ils n’y mettront plus les pieds, une jeune fille de 15 ans est morte sous les yeux de sa sœur. » Le narrateur « omet » de mentionner que le propos alarmiste du pêcheur est tenu après l’attaque, et le présentera au contraire comme tenue « avant le drame ». Aucune mention non plus sur le fait qu’il s’agissait d’une baigneuse, sur les centaines de personnes qui se baignaient encore occasionnellement en baie de Saint Paul qui avait accueilli, rappelons-le, pas moins de 14 triathlons, et que jamais dans l’histoire de cette plage, la simple baignade au bord n’avait exposé à un tel risque. Comme si le fait de se faire couper en deux en faisant juste une courte trempette au bord ne correspondait pas à un danger inédit.

[2]) Histoire des attaques de requins à Recife : « Shark Invasion », de National Geographic Channel, 2007. Tournée en partenariat avec les scientifiques locaux, il était présenté là-bas également sous la forme d’une « enquête neutre » avec un scénario qui tournait autour de la fatalité, associée à des causes d’origine humaine. J’ai pu constater sur place en avril 2014 que ce documentaire masquait une partie de l’horreur de la réalité, ainsi que l'échec de la politique préventive menée, et contribuait de ce fait à faire perdurer des situations pourtant calamiteuses.

[3]) « Des requins et des hommes », reportage de la chaîne Animaux diffusé en mars 2013.

[5])  Le dossier complet dans ce lien : http://future.arte.tv/fr/les-requins-pourquoi-tant-de-haine

[6]) Conformément à l’étude scientifique, le film passait en revue - sans les retenir - l’ensemble des autres hypothèses explicatives, telle la ferme aquacole, le rôle de « garde-manger » de la Réserve Marine, ou encore l’effet DCP (Dispositifs de Concentration de Poissons) de ses bouées. Parmi nos hypothèses du terrain, seul l’arrêt de la pêche était évoqué, mais ni le « biotope exceptionnel » favorable au développement de la population des requins bouledogues, ni la désinhibition induite par la Réserve n’étaient abordés.

[7]) Op. Cit. 154.

[8]) Op. cit. 153. Notamment les deux principaux requins étudiés, Fanny et Estelle, furent capturés en plein été austral le 10 février 2012.

[9]) Op. cit. 122. D’après les données disponibles à cette époque pour l’Afrique du sud, Australie, et Réunion notamment.

[10]) « Habitat ecology of the bull shark, Carcharhinus leucas, on urban coasts in eastern Queensland, Australia .» Thèse de Jonathan Mark Werry avril 2010 portant sur 1060 requins bouledogues péchés dans l’État du Queensland, latitude proche de la nôtre, parmi lesquels 59 femelles gravides. Les résultats, page 33, sont sans appel avec des embryons matures durant l’été, et en début de développement en hiver.

[11]) La répartition des attaques dans la région du Natal en Afrique du Sud (Op. cit. 21, p.15) où sévissent là-bas aussi les requins bouledogues, montre un pic au cours de l’été austral, à l’inverse de l’île de la Réunion. Par ailleurs, les études dans plusieurs régions (Floride, Australie notamment) montrent qu’ils sont moins présents durant l’hiver, ce qui conduit à une moindre probabilité d’attaque au cours de cette saison.

[12]) En plus des contraintes européennes en matière de gestion et de contrôle des pêches, la Réunion reste une des zones les moins impactées par la surpêche selon les données disponibles. Voir carte n°23 des zones victimes de surpêche dans le monde : http://www.vox.com/2014/8/26/6063749/38-maps-that-explain-the-global-economy Si la surpêche conduisait à des attaques, il y aurait des milliers de morts partout ailleurs dans le monde. Par ailleurs, même les spécialistes reconnaissaient les limites de cet argument. Exemple ici avec les propos de Bernard Seret tenu le 7 janvier 2014. (Op. cit. 148) : « Cette théorie de la surpêche, que les requins s’approchent, mais on ne parle pas des mêmes requins, ce que vous avez au large […] vous avez du mako, du peau bleu, du requin soyeux, vous avez du longimanus, c’est des requins qui (ne) s’approchent pas de la côte. »

[13]) Ainsi, une des règles de prudence communément admise consiste à éviter la mise à l’eau au lever du jour, en fin de journée, mais également en cas de couverture nuageuse importante.

[14]) Op. cit. 30, p. 389.

[15]) Voir note  94.

[16]) La Réunion est la seule région à afficher 100% de bonne qualité des eaux de baignade en 2011 dans le dernier « Rapport sur L’Etat de L’Environnement en France (REE) », p.71, Ministère de l’Ecologie du Développement Durable et de l'Énergie, 2014. Source : http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/fileadmin/documents/Produits_editoriaux/Publications/References/2014/references-ree-2014.pdf

[17]) L’île de la Réunion se situait dans une des zones les moins polluées de la planète selon les cartes d’évaluation disponibles : http://www.consoglobe.com/oceans-cartes-font-peur-vraiment-2330-cg

[18]) Exemple de l’Inde avec plus d’un milliard d’habitants et qui selon une étude rejette sans aucun traitement 80 % de ses eaux usées dans l’océan, sans connaître pour autant de problèmes avec les requins bouledogues présents sur ses côtes. http://timesofindia.indiatimes.com/home/environment/pollution/Around-80-of-sewage-in-Indian-cities-flows-into-water-systems/articleshow/18804660.cms De même, l’île Maurice notre voisine n’est pas inquiétée par les requins bien que des carences en matière de traitement des effluents et les rejets dans l’océan se constatent un peu partout.

[19]) « En 1977, Claude Bouchon est Doctorant en Océanologie. Il constate les premiers signes de dégradation biologique sur le récif de La Saline les Bains [...] La prolifération de ces types d’animaux révèle une augmentation chronique d'une charge organique nourricière dans les eaux baignant le récif. Dés le début des années 80 , les chercheurs devenus plus nombreux constatent l'effondrement du taux de recouvrement en coraux vivants en particulier sur les platiers récifaux [...] Les scientifiques expliquent cette nouvelle situation par des modifications affectant la qualité des eaux côtières suite aux apports par les écoulements terrestres, d'une pollution domestique nouvelle (intensification de l'urbanisation littorale sur ces secteurs sans réseau d'assainissement), de la pollution agricole (utilisation anarchique de fertilisants et de biocides dans des agrosystèmes en recherche de meilleurs rendements) mais aussi par la surexploitation non contrôlée des zones coralliennes au sens large [...] Il y a donc plus d'un quart de siècle que la nécessité d'une protection efficace des aires coralliennes s'est faite jour à l'Ile de La Réunion !… » Extrait d'une publication de Vie Océane : «  De l'idée d'une réserve marine à La Réunion… » 2007.

Lien http://vieoceane.free.fr/articles/chronologie.html

[20]) Voir note 76.

[21]) Un recensement des usagers nautiques de la côté ouest par ULM avait été réalisé dans le cadre d’une étude scientifique. Elle aboutira à la conclusion selon laquelle « Le duo baignade/plage ainsi que l'activité de surf ont vu leur effectif moyen décroitre depuis 2010. »Extrait de « Etude de la fréquentation des activités nautiques dans le cadre du programme CHARC », figurant en annexe de la « Synthèse des études sur les facteurs biotiques et abiotiques analysés au cours du programme CHARC »,  p. 112. Ce constat était encore plus saillant pour les plages ouvertes sur l'océan.

[22]) Ce cliché restait tenace notamment dans les croyances des scientifiques, ce qui jetait encore plus la confusion. Ainsi par exemple, Catherine Vadon, docteur en océanographie, maître de conférence au Museum d'Histoire Naturelle de Paris, expliqua les attaques chez nous (encore fin 2015 !), par « le développement du tourisme, du sport, des loisirs nautiques […] une démographie croissante sur l’île de la Réunion ». Propos tenus dans l’émission Archipel de France O du 25 octobre 2015, en marge de la diffusion du documentaire « Shark Girl ».

[23]) Surtout si on y ajoutait les images exclusives octroyées à ce réalisateur par l’institut scientifique, provenant d’une caméra de haute technologie installée à grands frais pendant un mois sous la ferme aquacole. Peut-être que le film coproduit par l’IRD et sa société de production, constituant le bilan et l’outil de promotion de l’étude CHARC pouvait permettre d’expliquer ces accointances ainsi que le parti pris ? Voir le film  de restitution scientifique : « Connaissances de l’écologie et de l’habitat de deux espèces de Requins côtiers. » film réalisé par Rémy Tézier, 21 mn, 2015.

[24]) Ce documentaire obtiendra la deuxième meilleure audience de la chaîne pour l’année 2014 avec 827 000 téléspectateurs. Source : http://pro.arte.tv/2014/08/succes-daudience-pour-attaques-de-requins-a-la-reunion-lenquete-de-remy-tezier/

[25]) Programme où son association Squal'idées était en charge de l’étude des mâchoires des animaux prélevés depuis 2014.

[26]) Propos tenus dans un article du N° du journal Libération du 22 septembre 2011 intitulé « les requins ne sont pas des bisounours », 3 jours après de la mort de Mathieu Schiller.

[27]) Dans son étude (Op.Cit. 108) la sociologue étayait son analyse en citant un propos du représentant de Squal’idées : « Les accidents sont peu fréquents même s’ils peuvent avoir des conséquences parfois dramatiques pour des personnes jeunes et dynamiques [...]. Si les règles de sécurité étaient respectées, beaucoup d’accidents seraient évités. » Extrait d’un article intitulé « Le drame aurait pu être évité » dans le N° du  Journal de l’Ile de la Réunion du 20 septembre 2011.

[28]) Cette étude explique que la croisade engagée dans l’opinion contre l’idée construite d’une « psychose requin » passait nécessairement par une culpabilisation individuelle, et donc un déni de la réalité du risque. Finalement, ce que j’avais défendu avec tant d’ardeur en étant accusé « d’entretenir la psychose », n’était rien d’autre que l’idée d’un risque réel, qui sera définitivement reconnu par le conseil d’État en juillet 2013.

[29]) En décembre 2014, le chargé de l’étude sociologique (financée par le Ministère de l’Ecologie) me confirma les pressions et les « recadrages » dont il fit l’objet, dans le but de limiter dans son rapport final toute référence à une mauvaise gestion initiale des autorités. Alors que sa mission était achevée, suite à deux publications en avril 2015, il se retrouva menacé de poursuites, et interdit définitivement de communication par les autorités qui invoqueront une « clause de confidentialité ». Tribune publiée sur le site Zinfo974 le 22 avril 2015 intitulée : « Crise requin. Ne pourrait-on pas, enfin, associer la totalité des acteurs de la crise aux processus de décision ? ». Et un courrier des lecteurs intitulé « Pour éviter que la situation ne s’aggrave » qu’il fit paraitre le 27 avril 2015 sur le site Imazpress.

[30]) L’image d’une autorité agissant sous la pression permanente des usagers ou des associations était largement répandue dans l’opinion et entretenue depuis le début par nos opposants. L’absence totale de positionnement public franc de l’État entretenait l’idée d’une politique résultant plus d’un lobby, que d’un risque réel.